Monnaies Locales face au système financier international

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

Riposter localement au système financier international, c’est possible...
J’ ai eu la chance de rencontrer récemment à Bruxelles, Bernard Lietaer, spécialiste européen de la monnaie...

Riposter localement au système financier international, c’est possible...

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J’ ai eu la chance * de rencontrer recemment chez lui à Bruxelles, avec mon collègue Cyril Kretschmar et des salariés de la région, Bernard Lietaer, spécialiste européen de la monnaie.


Bernard Lietaer est un chercheur et un praticien absolument hors norme.
Professeur d’université et enseignant aux Etats Unis, dirigeant de banque nationale, d’organismes financiers internationaux, responsable du passage à l’euro, membre du club de Rome, il est spécialiste des questions monétaires internationales.

Mais il est aussi un des défenseurs les plus connus des monnaies complémentaires, auteur de nombreux ouvrages sur la monnaie, peu traduits en France malheureusement et consultant international en matière de développement de systèmes alternatifs financiers : monnaies complémentaires et locales, systèmes d’échange locaux, banques coopératives.

Ce n’est pas tout, et il a encore plus d’une corde à son arc : Polytechnicien, il s’est aussi lancé dans des recherches sur l’inconscient collectif, rappelant implicitement que c’est l’homme, avec un petit h, qui a construit ce système économique et financier, et non la LOI pseudo - scientifique d’ une entité toute puissante nommée Marché...

Les participants à la rencontre de Bruxelles, pas forcément tous préparés à entendre un discours décapant et global, n’ont pas été surpris mais conquis.

Après avoir pointé 4 obstacles au développement des monnaies complémentaires ** d’ordre sociologique, politique, institutionnel et culturel, Bernard Lietaer nous a permis d’explorer les conditions d’une mise en place de solutions locales alternatives au système financier actuel.

Je vais prendre 3 exemples pour tenter de faire comprendre en quelques mots l’intérêt des monnaies alternatives :
En Suisse les PME ont mis en place un système monétaire d’échange entre elles, le Wir, depuis 70 ans. Il leur permet de continuer à travailler par gros temps de crise économique.
Au Bresil, Etat du Parana, une commune a inventé une monnaie locale pour les favellas : constatant que les camions poubelles ne pouvaient pas circuler dans les favellas, elle a décidé de rémunerer en tickets de transport les habitants ( jeunes) qui se chargeraient d’acheminer en bas des collines innaccesibles les ordures menagères : succès absolu.

En Autriche une école avec les parents d’élèves s’est mise à chercher des financements pour sa réhabilitation. Il en est sorti un système où les entreprises et petits commerces en milieu rural financent une "monnaie" (bons d’échange) locale, un peu comme le Wir, sauf que les habitants aussi l’utilisent : ils doivent simplement ne pas thésauriser, et pour cela, leur monnaie se déprécie tous les trimestres s’ils ne s’en servent pas. Ce qui fait que les cinémas se remplissent en fin de trimestre etc. Mais l’intérêt majeur de cette monnaie, c’est que les habitants qui l’utilisent choisisent un projet social à financer (ex l’école). Il y a une charte éthique "réaliste" et chacun est engagé dans une forme de developpement durable.
Attention ! Il n’y a pas de soustraction à l’impôt ou aux taxes, les entreprises payent la TVA ou les charges sociales.
Cette monnaie ne concurrence pas l’euro, elle est complémentaire, et le Chimagauer (du nom du village) est convertible en euro.

Bernard Liétaer nous a permis de compléter le regard et la connaissance que nous avions des monnaies complémentaires existantes :

Pour soutenir le développement des TPE/PME : le C3, Circuit de Crédit Commercial et RES
Le C3 a été développé en Amérique Latine (Uruguay, Etat du Nordeste au Brésil) par l’ONG hollandaise STRO. Il s’agit d’un réseau de crédit partagé entre les PME d’un territoire, afin de les aider à faire face à leurs problèmes de trésorerie et de stimuler structurellement l’emploi. Chaque entreprise peut proposer à ses fournisseurs un paiement immédiat de ses dettes avec le support de la monnaie locale développée par le C3, ou un paiement en monnaie nationale, déduction faite du coût de la trésorerie. Le C3 est garanti par une société d’assurance et une banque choisies par le réseau des entreprises. L’Etat uruguayen a récemment accepté le paiement des taxes des entreprises en C3.

Le Crédit Mutuel de Bretagne et Arkéa sont en train d’expérimenter de leur coté une monnaie locale autour du réseau « Produit de Bretagne », fédérant 230 entreprises dont 3 chaînes d’hypermarchés, représentant un volume total de 15 milliards d’euros. ce système ne fait pas intervenir les collectivités, et ce n’est pas un système éthique***. La Banque Européenne d’Investissement s’intéresse à de tels projets et souhaite les appuyer financièrement via le projet JEREMI.
Nous allons néanmoins*** contacter la BEI pour avoir plus de détails quant à la mise en place de ce projet.

La monnaie complémentaire RES (comme « la chose » ou « la cause » en latin), est née autour de 1995 en Belgique, portée par un entrepreneur, Walter Smith, connaissant notamment des difficultés d’accès au système bancaire.
Son objectif est le développement de l’activité de petites entreprises de l’artisanat et du commerce (non franchisés) via un système de cartes de paiement et de fidélisations électroniques (types cartes Smiles).
Les entreprises payent 500€ d’adhésion et bénéficient en échange de deux avantages : des clients captifs et fidélisés puisqu’ils payent en RES (qui est convertible en €) ; des prêts à taux zéro en RES. Cette monnaie inter-entreprise est utilisée par 5000 PME en Belgique qui ont vu augmenter leur chiffre d’affaire de manière mécanique.
Les consommateurs bénéficient de deux avantages : une première remise de 10%, car l’achat initial de RES s’effectue avec un taux de change avantageux (100€ = 110RES) les incitant à consommer davantage en RES ; des remises effectuées par chaque commerçant, contribuant à fidéliser la clientèle. Grâce au fond de trésorerie généré, entre autres, par les adhésions, des TPE telles que des librairies de quartier ont pu être sauvées de la faillite via l’injection de fonds RES.

Pour soutenir le développement d’un quartier d’habitat social : l’exemple de la ville de Gand

La Ville mobilise des ressources et l’échange avec les habitants contre des services locaux pour lesquels ils apportent une valeur-ajoutée déterminante. Les habitants, d’origine turque, ont exprimé le souhait d’avoir un jardin familial. En échange, ils s’engagent à la réalisation de quelques services aux bénéfices de leurs voisins (ex courses pour des personnes âgées)
Note : à la régie de quartier Villeneuve de Grenoble, les militants bénévoles de la régie de quartier et leur reseau ont récemment officialisé le sol comme monnaie complémentaire. L’idée est de payer en sol les apports volontaires d’encombrants recyclés, réparés pour être vendus ou déconstruits pour en recycler les matériaux. Ce travail s’effectue en lien avec une entreprise d’insertion, et ils ont une forme d’autonomie decisionnelle. Ils pourraient aussi échanger du service citoyen de ramassage de dechets contre une baisse de taxe sur les ordures, ou des tickets de transports...

L’échange passionnant a été plus long mais ces quelques exemples permettent assez bien d’en restituer la teneur. Cela nous permet de mieux choisir dans quelle direction nous orienter et de nous poser les bonnes questions :
-Quelle complémentatité entre monnaies locales de type "social" et les monnaies à vocation de soutien des PME et PMI ?
-Le RES se passe d’intervention publique. ll n’obéit pas à des objectifs éthiques*** comme le Schimgauer. Y a - t-il une place pour deux monnaies locales à caractère économique et commercial ? A noter que le Sol du quartier de la Villeneuve remobilise quelques entreprises sur une base éthique.
- Le C3 est il un vrai champ d’action pour la région ?
-Quel rôle de la région pour l’utilisation de monnaies complémentaires ?
deux aspects complémentaires : créer une forme d’engagement de manière à satisfaire des aspirations et besoins non satisfaits, et payer ces services en monnaies complémentaires.
D’une façon générale, la région peut aider à faire repérer par les territoires ou acteurs locaux les besoins ou aspirations non satisfaits et non solvabilisés, aider à la mise en place de l’échange...
Cela vaut pour la politique des quartiers, les zones rurales dévitalisées, et plus globalement peut avoir des retombées sur l"ensemble d’un territoire ;
des incitations sont aussi à chercher du coté des PME , principales employeurs.
Nous avons décidé Cyril et moi de faire une rencontre publique vers la fin de l’automne.

MO.N
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* Je dois remercier Maryline Mougel, qui a beaucoup travaillé sur le sol en Isère et sur d’autres monnaies complémentaires, et à qui je dois d’avoir été mise en contact avec Bernard Liétaer.

** Les 4 obstacles au développement des monnaies complémentaires :
obstacle sociologique : les sociétés traditionnelles se sont toutes développées autour de modèles patriarcaux hiérarchisés, et d’une monnaie centrale. Seules les sociétés matrifocales ont expérimenté des systèmes monétaires multiples, non centrées sur la rareté et sans taux d’intérêt.
Obstacle politique : les modèles capitalistes comme communistes ont pour point commun un système de monopole monétaire centralisé.
Obstacle institutionnel : les Etats imposent tous, pour prélever leurs taxes, un système central autour d’une banque centrale et d’une monnaie unique comme moyen monopolistique de paiement.
Obstacle culturel : tous les économistes classiques suivent ce dogme intangible pour eux : « never touch the money system ».

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Disons que l’ éthique est centrée sur l’équité entre PME et plus grosses entreprises, ce qui n’est pas rien. Mais il ne s’agit pas de ne soutenir que des productions entrant dans le champ du développement durable avec ses 4 pilers éthiques (environnement, économie, social, et gouvernance démocratique) comme le Schimgauer.